Contents
- Et si on apprenait à communiquer autrement
- Ce que je dis n’est pas ce qui est… entendu
- Le corps, pays de la juste mesure
- Découvertes
- Habiter, mais aussi vivre en ville
- Je ne peux pas
- Le travail…, ce n’est pas la santé !
- Un nouveau virus : le virus de la vérité
- Ah que le succès est suspect !
- Femmes et Hommes
- Inventer la paix au quotidien
- La violence de survie
- Ne tuons pas l’avenir ?
- Tendresse et communication dans le couple
- Tous ensemble protégeons l’École
Et si on apprenait à communiquer autrement
Par Jacques Salomé
C’est une épreuve, encore plus déstabilisante d’entrevoir, que malgré l’amour témoigné, des marques de tendresse offertes, en dépit des bons sentiments, des intentions louables, d’une bonne dose de tolérance et de respect, des manifestations positives envers l’autre, nous butons encore sur des difficultés de relation. Nous tombons dans des pièges qui se répètent suivant des scénarios qui semblent immuables, et qui maltraitent nos tentatives de communication les plus importantes pour nous-mêmes et ceux que nous aimons.
Que nous n’arrivons pas à nous dire avec suffisamment de clarté pour être entendu, à nous faire reconnaître tels que nous sommes, à nous sentir valorisés, respectés dans notre intimité, à avoir le sentiment que nous pouvons exercer une influence, même minime, sur le déroulement des affaires de notre environnement de proximité et au-delà du monde dans lequel nous vivons.
Bref, d’avoir la sensation, toujours désagréable, de constater que nos besoins relationnels les plus essentiels ne sont pas comblés et que nous sommes également aveugles et sourds aux attentes les plus vitales de ceux qui nous entourent !
Il faut à chacun d’entre nous, femme ou homme, beaucoup de courage pour accepter de se remettre en question dans nos relations à l’autre (et à nous-mêmes). Beaucoup de constance pour ne pas trop collaborer à entretenir les pièges les plus fréquemment rencontrés : l’accusation de l’autre (c’est ta faute, tu n’es jamais là, tu n’écoutes jamais, on ne peut rien te dire…), ou l’auto-accusation, les plaintes et les lamentations (je n’ai pas comme toi la chance d’avoir des parents qui m’aimaient, toi tu as pu faire des études, tu sais parler aux gens alors que moi je m’emmêle dans mes idées…). Il faut beaucoup de disponibilité et d’ardeur pour accepter de se responsabiliser et découvrir, puis intégrer l’idée, que nous sommes partie prenante dans tous nos échanges et partages.
Il nous faut beaucoup d’humilité aussi, pour reconnaître que nous sommes souvent, pour la plupart d’entre nous, des infirmes de la communication. C’est à partir de là que nous pouvons nous donner les moyens, quel que soit notre âge, d’identifier, de mieux comprendre les principaux rouages pernicieux du système relationnel dans lequel nous nous baignons. Il nous faut surtout beaucoup de réalisme et sans doute un peu d’utopie, pour prendre le risque de changer et amorcer, au-delà d’une démarche de conscientisation, un véritable travail de ré-apprentissage de notre façon de communiquer et d’entrer en relation.
Communiquer, signifie mettre en commun, en acceptant de partager des différences, de gérer des antagonismes, de regrouper des semblances et de développer des relations non violentes dans les lesquelles les rapports de force ne domineront pas, en proposant des échanges plus consensuels. C’est s’engager dans des partages à base de confrontations plutôt que de luttes intestines, de joutes verbales assassines et d’affrontements dans lesquels nous tentons d’avoir raison sur l’autre…
Je m’adresse, ce faisant, à tous ceux qui se sentent concernés par la possibilité d’un changement profond sur leur façon de mettre en commun, qui se sentent suffisamment responsables pour découvrir une autre façon de dialoguer, d’échanger, de partager, de se dynamiser mutuellement pour accéder au meilleur de soi, et par là même, au meilleur de l’autre. Il existe aujourd’hui beaucoup d’approches pour ce faire. Autrefois réservées à quelques formateurs ou spécialistes en communication, aujourd’hui ouvertes à tous.
C’est donc le risque que nous prenons avec tout geste ou de toute parole offerte parfois comme un cadeau, une marque d’affection ou un élan positif, d’être parfois ressenti par le destinataire comme une violence, une agression, une disqualification ou qui sera reçu comme porteuse d’une intention maligne.
Il y a donc dans tout échange, une double interrogation à avoir, et au delà, une double responsabilisation à reconnaître : chez celui qui envoie le message et chez celui qui le reçoit.
Chez celui qui envoie un message, le fait-il avec suffisamment de clarté, d’ouverture, avec un positionnement clair ? Est-il suffisamment décentré sur l’autre, ou se sert-il de lui pour ses propres besoins ou objectifs ?
Chez celui qui reçoit le message verbal ou gestuel, l’interrogation sera plus complexe. Elle peut porter sur les intentions de l’autre. Que me veut-il réellement, avec tous les possibles d’une projection sur les sentiments réels que je lui attribue ? Mais l’interpellation peut aussi porter sur l’impact. Que touche-t-il, que réveille-t-il, que restimule-t-il en moi ? S’agit-il d’une réaction épidermique lié à un événement extérieur, d’une sensibilité ponctuelle, d’une vulnérabilité actuelle ou de quelque chose de plus profond, de plus ancien, de plus douloureux qui se réveille, si cela remet à jour des vieilles blessures, des situations inachevées, des conflits non résolus dans mon histoire ?
Si nous acceptons de part et d’autre d’une relation, d’être responsables de ce que nous ressentons, nous sommes aussi responsables du sens que nous donnons à un geste, à une parole, donné ou reçu.
C’est bien en assumant cette double responsabilité que prendra toute sa valeur et toute sa dimension réparatrice et réconciliatrice, l’acte de restituer à autrui un comportement, un geste, une parole que je peux avoir vécu comme une violence.
Si j’enseigne, en effet, combien il est important de ne pas garder un message négatif, et indispensable de le restituer à celui qui nous l’a envoyé, je crois aussi qu’il faut se garder de tout détournement de cette démarche, au travers d’un narcissisme un peu paranoïde, réactionnel ou aveugle, qui me ferait “rendre” à autrui tout ce qui me gêne ou me dérange, en me faisant faire l’économie d’une interrogation sur mes propres conduites, celles, justement qui ont conduit l’autre à se comporter ainsi. Se responsabiliser est une démarche exemplaire, elle sera donc à appliquer avec rigueur, cohérence et le plus de lucidité sinon d’honnêteté possible.
Notre corps porte non seulement notre vie, mais il est le réceptacle des possibles de toute notre humanitude, c’est-à-dire à la fois de notre vulnérabilité et de notre puissance, de nos errances et de ce que nous croyons être des certitudes et qui ne sont que des croyances provisoires auxquelles nous nous accrochons tenacement pour ne pas sombrer dans l’incohérence. Le corps est l’émetteur et le réceptacle de tout ce qu’il a de bon en nous comme du pire. La part d’ombre qui l’habite, qui se traduit parfois par tant de désolation et de désespoir autour de la violence et de la haine, n’est jamais très loin de la part de lumière qui peut le transcender et l’entraîner à la conquête des étoiles ou à la création du bon et du beau dont il s’entoure. Il est aussi un compagnon fidèle malgré toutes les maltraitances dont il peut être l’objet, il nous accompagnera jusqu’au bout d’un parcours appelé une existence humaine.
Le corps parle avec les langages de toutes les mémoires. Il balbutie parfois dans ses excès et ses errances quelques-uns des mystères sur ses origines lointaines, quand il cohabitait harmonieusement avec la totalité du vivant. Il continue à transmettre avec ténacité la vie ardente et à entretenir cette part d’éternité si incertaine autour de l’amour.
Il connaît les multiples pays de son histoire et garde en lui la trace de toutes les imprégnations qui ont participé à sa croissance.
Il connaît l’enthousiasme de ses élans, le désert de ses limites, les montagnes et les gouffres insondables de ses désirs, jusqu’aux frontières des besoins vitaux. Il se nourrit de rires et de musiques, autant que de vitamines et de protéines, il se gave de drames et de comédies, il s‘agrandit ou se blesse au contact des rencontres et des séparations qui traversent son existence. Il vit entre la fluidité de la vague et l’éternité du sable.
C’est toujours Robert Faure qui nous rappelle qu’« Au commencement, les dieux entrèrent dans le corps de l’homme, alors que les saisons n’étaient pas encore nées, et les hommes devinrent la maison des dieux. Toutes les faims, toutes les soifs entrèrent dans le corps de l’homme. Savoirs et non-savoirs, et toutes choses enseignables, strophes, mélodies, paroles liturgiques. Ce qui est Un, et multiple entrèrent dans son corps. Et les rires et les élans, et les jeux et les joies entrèrent dans son corps, et les pensées, et les rêves et les images. Le soleil et le vent se sont partagé l’œil et le souffle de l’homme. Ainsi naquit le corps, ainsi naquit le temps, le pays de la juste mesure ».
En chacun de nous se poursuit cette recherche de la juste mesure, ce désir de rencontre avec l’harmonie et la paix, rattaché à un besoin de complétude qui ne doit pas être confondu avec celui d’être satisfait ou comblé, mais qui est l’aspiration à se sentir réunifié, réconcilié malgré nos contradictions et nos conflits internes.
Le jour où j’ai découvert qu’il était possible de ne plus être passif, de ne plus pratiquer la pseudo-compréhension en voulant expliciter, trouver de bonnes raisons aux attitudes, comportements, débordements ou abus de l’autre, j’ai grandi à l’intérieur de moi.
Le jour où j’ai pu renoncer à pratiquer la répression imaginaire que je m’infligeais trop souvent, quand je m’interdisais d’intervenir, de témoigner de ma position, de mes idées, bref quand j’ai osé m’affirmer, me faire reconnaître tel que je me percevais, j’ai commencé à m’aimer.
Le jour où j’ai senti qu’il était possible de restituer symboliquement à l’autre, les messages négatifs, disqualifiants ou polluants qu’il pouvait déposer sur moi, j’ai rajeuni de 20 ans, mon ulcère a cessé de croître et j’ai arrêté d’alimenter ma dynamique paranoïde qui commençait à prendre beaucoup de place non seulement dans mon esprit mais dans mes relations.
Quand j’ai découvert qu’une relation a deux bouts, que je pouvais prendre en charge l’extrémité qui me concernait, même si je savais que tous mes conditionnements m’incitaient à prendre en charge en priorité l’extrémité de l’autre, j’ai senti plus de confiance en moi mais surtout j’ai commencé à me respecter. J’avais déjà 40 ans.
Quand j’ai compris que les pensées, les ressentis, les sentiments de l’autre, lui appartenaient et que je n’avais pas à les faire miens ou à les combattre systématiquement, j’ai encore grandi un peu mais surtout j’ai commencé à respecter autrui pour ce qu’il était dans ses différences, dans ses croyances, ses perceptions, ses idées, que tout cela lui appartenait. J’ai pris conscience que je n’avais le pouvoir de le changer, seulement celui de modifier ma relation à lui. Alors j’ai découvert l’humanitude. Le simple fait d’être un humain, avec mes limites et mes ressources, pas toujours démuni, mais engagé dans ses propres choix de vie.
Quand j’ai renoncé à l’ITPI (Illusion de la Toute Puissance Infantile), qui me laissait croire jusqu’alors que je pouvais penser, faire, imaginer à la place de l’autre, (même quand celui-ci, ne voulait pas de mon aide et qu’il la sabotait).
Quand j’ai compris, qu’il était vain de s’occuper des problèmes de l’autre, là où il voulait bien nous les montrer, mais qu’il était possible de s’intéresser à la personne qui les vivait pour l’inviter elle, à faire quelque chose pour changer ou se relier à ses difficultés différemment.
Ainsi, de petits cailloux communicationnels en petits cailloux relationnels, j’ai construit la vie que j’ai aujourd’hui, et parfois aidé l’autre à mieux construire la sienne.
J’avais aussi rêvé qu’on puisse réoccuper les cimetières avec des vivants, en créant des pelouses et des coins ombragés, des espaces parsemées de petites plaques de cuivre scintillantes qui rappelleraient le nom des morts poursuivant leur voyage vers l’insondable de l’au-delà, sous les fesses et les corps alanguis de rêveurs, de pique-niqueurs ou de lecteurs aimant la nature.
J’avais espéré que seraient créées des plages de sable au bord des fleuves traversant les villes (hourra, cela s’est fait !) pour permettre à des citadins de s’allonger et de pouvoir se dénuder, de marcher pieds nus l’espace d’un après-midi, de se reposer, de discuter ou de rêver les yeux aux cieux.
J’avais rêvé que des fontaines d’eau claire pourraient un jour habiter certains carrefours réservés aux piétons, et pourquoi pas, de voir se multiplier les arbres dans les rues passantes. Des rues, qui comme leur nom ne l’indique plus, invitent au passage et donc une fois de plus à la rencontre, à l’étonnement, au ralentissement du temps. Bref je croyais qu’il était possible d’humaniser les villes et de créer ainsi des oasis relationnelles, propices à la rencontre, l’échange et l’étonnement d’être.
Et je découvre avec stupéfaction quelques-unes des stratégies inventées par des technocrates redoutables et ingénieux, pour aseptiser les grandes villes. Pour limiter les rencontres, empêcher le stationnement des corps, contraindre au déplacement, diffuser l’anonymat, le rendre plus opaque et donc inciter à l’enfermement dans les immeubles ou des lieux payants. Et ainsi pousser à la désertification des rues et des avenues qui ne devraient être réservées qu’aux seuls déplacements fonctionnels, ceux à buts lucratifs ou professionnels, à la consommation, au travail…
On a inventé et installé des bancs sur lesquels il n’est plus possible de s’allonger et dont l’architecture même, suffisamment inconfortable, est destinée à décourager une station assise trop prolongée.
On nettoie, on dévitalise, ratisse les lieux publics où seraient susceptibles de se rassembler et donc de se rencontrer des humains.
Des espaces « tentateurs », comme le dit si bien Jean Claude Guillebaud, dans sa chronique hebdomadaire de TéléCinéObs, sont maintenus humides et donc impraticables « grâce à de discrets systèmes d’arrosage ».
L’humanitude de chacun, et au delà de la citoyenneté, se construisent sur la rencontre, sur la gratuité et la spontanéité des échanges. Si nous sommes dépossédés de cette liberté, nous entrons dans un peu plus de violence et d’auto-violence.
Peut-être faudrait-il aller vers les décideurs. Peut-être faudrait-il se mobiliser et donc descendre dans la rue, l’occuper, la meubler de mots, de rires, de chansons, d’un espace et de temps pour enfin rencontrer nos semblables !
Oui, certainement faire appel encore, et encore, non pas au désir, mais au besoin de chacun de pouvoir se reconnaître comme faisant partie des humains.
« Non vraiment je ne peux pas… » J’ai souvent entendu cette phrase, courte, dite dans un chuchotement ou au contraire de façon plus sèche ou plus languide ou parfois même sur un ton désespéré… Comme un aveu d’impuissance face à l’impossible.
« Non je ne peux pas accepter, je ne peux pas recevoir, je ne peux pas faire, je ne peux pas dire, je ne peux ne pas le faire… »
Ce n’est pas un constat d’impuissance comme on pourrait le penser, mais plutôt une sorte d’impossibilité choisie, apparemment librement acceptée, un renoncement implicite : « Je ne peux pas, je n’en suis pas capable, ce n’est pas possible pour moi, c’est au delà de mes forces… »
Avec des significations aussi diverses que : « je ne veux pas recevoir ou je ne veux pas demander, donner, refuser ».
Autrement dit, cela ressemble à un interdit, à une censure, une obligation que l’on se donne à soi même, prétextant un empêchement, constituant un obstacle à toute tentative d’échanges, à une action possible. Quand on sait que toute tentative de communication, de partage, de relation repose sur quatre piliers : demander, donner, recevoir ou refuser.
Nous voyons comment certaines personnes peuvent vivre en état d’auto-privation permanente, en s’abritant derrière un : « je ne peux pas ! ».
L’interdit, l’obstacle que la personne se donne à elle même, n’est pas toujours reconnu comme tel. Elle pourrait dire : « je ne veux pas », et s’affirmer ainsi plus clairement, confirmer, se positionner.
« Non ce n’est pas mon désir, ce n’est pas mon attente, ce n’est pas mon choix actuellement ! », et s’affirmer ainsi plus clairement face à l’autre.
Celui qui dit : « je ne peux pas ! », pourrait s’interroger à quoi, à qui dit-il oui, quand il dit non de cette façon ?
Celui ou celle qui dit « je ne peux pas », tente en fait de dire plusieurs choses à la fois :
- Je ne me sens pas prêt, apprivoisez-moi, respectez mon rythme ou mes peurs…
- Je ne peux pas recevoir votre geste, ou votre proposition, ou votre invitation car il n’est pas bon pour moi ou ne correspond pas à mon attente ou à ma sensibilité…
- Je ne suis pas dans cette énergie, ou je n’ai pas cette demande…
- Je ne peux pas, car j’ai peur d’être redevable de quelque chose si j’accepte, je crains que cela n’aille plus loin, trop loin, m’engage ou que cela me déstabilise…
Cette expression : « je ne peux pas », pourrait être supprimée de notre vocabulaire, disparaître de nos références habituelles et être bénéfiquement remplacée par une affirmation plus nette, plus claire :
« je ne veux pas! Je ne fais pas ce choix, je n’entre pas dans cette proposition, dans ce projet, cela ne correspond pas à mes valeurs, à ma sensibilité, à mes engagements de vie… » Mais cela nous ferait alors rencontrer, toucher du doigt parfois douloureusement une difficulté présente chez chacun d’entre nous, le conflit entre besoin d’approbation et besoin d’affirmation…
En effet ces deux besoins importants, vitaux, ne peuvent co-habiter. Si j’ose m’affirmer (en particulier, auprès des personnes significatives de ma vie), je prends le risque de ne pas être approuvé ou même rejeté (par ces mêmes personnes !). C’est ce qui explique que l’on préfère utiliser le « je ne peux pas » de préférence au « je ne veux pas », nous éludons la confrontation avec l’autre, par un « je ne peux pas». Car en nous affirmant nous craignons de ne pas avoir l’approbation de personnes chères, nous avons peur d’être jugés, rejetés ou ce que nous redoutons le plus non aimés !
Mais l’inactivité aussi, semble nuisible à un bon équilibre. Il nous faudra donc trouver un juste milieu entre travail et loisir, entre temps d’activité et de repos, entre agitation et rêve, ce qui me semble relever du bon sens.
Car cette étude nous dit aussi que la mortalité semble diminuer avec l’augmentation du chômage. Quand on est dans cette situation d’avoir à rechercher un emploi, du travail, on vit (certainement) moins confortablement, mais apparemment plus longtemps. Ainsi, d’après l’étude du professeur américain, quand la croissance économique se détériore, il semble que certaines maladies diminuent. Tout se passe comme si dans le combat pour la survie (car être au chômage longue durée est un véritable combat pour l’existence et le respect de soi) nous entraînait paradoxalement à nous porter mieux. Attention, il ne s’agit pas de conclure en faisant un éloge de la pauvreté, où une invitation à se maintenir au chômage… mais de s’ouvrir à une réflexion sur notre relation avec le travail.
Nous découvrons grâce à ces scientifiques, que l’attention, la mémoire sont stimulées par une grasse matinée ou une bonne sieste, que le cerveau est plus actif, disponible après un temps de repos, que le temps consacré au rêve éveillé, à bailler aux corneilles (qui n’existent pratiquement plus) est salutaire. Quand nous avons l’esprit clair, dégagé peu encombré de pensées autour “des choses à faire…” le stress diminue, nos relations aux autres sont plus souples, plus ouvertes, plus gratifiantes.
Dans ma jeunesse, j’ai souvent entendu ma mère invoquer deux valeurs vitales à son existence :
« Pourvu qu’on ait du travail et la santé ». Elle associait vaillamment ces deux notions sans penser un seul instant, qu’elles pourraient aussi se combattre et se faire du tort l’une à l’autre !
Il y avait bien de temps en temps, un voisin, une connaissance ou un proche qui succombait, qui disparaissait parce que, murmurait la rumeur publique, “il s’était crevé à la tâche !”. On attribuait dans mon milieu populaire, tout cela au patron, “un exploiteur”, “un suceur de sang”, disait-on !
C’est vrai qu’il fallait être en bonne santé, en ce temps-là, pour pouvoir travailler 12 à 14 h par jour, et durer le plus longtemps possible, “travailler jusqu’au bout” pour ne pas être à la charge des autres.
Donc aujourd’hui, entre un assistanat social dominant pour certains, un béquillage pharmacologique au quotidien pour d’autres, qui amollit, atténue les défenses, diminue les immunités et trop de travail pour beaucoup, (les 50 H sont largement dépassées dans beaucoup de secteurs). Ou encore un travail tellement morcelé, qu’il nous éparpille. Nous avons, les uns et les autres, à trouver un chemin pour rester non seulement vivants mais en santé. J’ai quand même toujours en moi, la nostalgie de ce temps, pas si lointain, où l’on pouvait dire “le travail, c’est la santé”, car le plaisir du bien faire, de la tache bien accomplie, du travail bien exécuté donnait une dynamique de vie extraordinairement encourageante et confirmait une estime de soi, qui semble nous faire défaut aujourd’hui.
Mais le surgissement, l’arrivée d’un nouveau virus n’a pas toujours les effets négatifs que l’on imagine. Certains sont porteurs d’espérance et d’une force de changement qui peuvent nous étonner et nous inviter à introduire quelques modifications dans nos habitudes.
Ainsi l’effet le plus dévastateur liée à l’arrivée du virus SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en Chine dans un premier temps et dans quelques autres pays ensuite, semble être l’apparition d’un virus totalement inconnu à ce jour : le “virus de la vérité”.
En effet les autorités chinoises viennent de proposer une innovation totalement surprenante qui consiste, non seulement à reconnaître que son administration de la santé avait menti à la population sur l’étendue de l’épidémie, mais aussi à provoquer une exhortation surprenante du secrétaire général du (PCC) : « il faut rapporter correctement tous les cas et ne pas perdre de temps dans la remontée des informations qui doivent être exactes ! ». Bref, dire la vérité sans la cacher ou l’atténuer.
Ainsi nous découvrons, avec un certain plaisir, que des dirigeants communistes sont atteints du virus de la vérité quand ils affirment en plus « que nous sommes maintenant dans un monde globalisé ». L’économie est globalisée, la violence est globalisée, l’épidémie est globalisée, il en est de même pour l’information. Tenter de retenir l’information (ou la déformer) sur des événements majeurs est une idée dépassée. « De telles pratiques ne font plus recette de nos jours », peut-on lire dans les communiqués officiels.
Je peux seulement espérer que ce virus puisse sortir des frontières de Chine et se répandra dans tous les pays, en particulier dans le nôtre ou les USA. La non-transparence est une maladie endémique grave qui prolifère avec tout plein de bonnes raisons et d’excuses, qui se cache sous des motifs et des enjeux très divers et ce nouveau “virus de la vérité” devrait pouvoir déloger les non dits, les mensonges, la non-transparence de leurs défenses et de toutes les justifications dont parfois ils s’entourent.
Attention cependant ce virus peut frapper n’importe où et n’importe qui.
On découvre que Colin Powell, le secrétaire d’état américain à la défense, « reconnaît qu’il a pu se tromper sur l’évaluation des risques autour de certains camions irakiens, qui auraient été présentés comme des laboratoires ambulants, chargés de produire des armes chimiques et pouvant constituer un danger tel qu’il était important d’envahir l’Irak… »
Reconnaître s’être trompé, n’est pas nécessairement un début de vérité, mais une ouverture, un chemin possible à moins mentir.
Le virus de la vérité, peut ainsi vaincre les réticences de certains non-dits conjugaux, déloger de leur silence, tous ceux qui l’utilisent pour cacher leurs trahisons, ou pour se dérober à leurs engagements, démystifier les croyances de ceux qui s’abritent derrière de belles façades idéologiques, humanitaires ou religieuses. Ce virus peut même atteindre les chefs d’état, les tyrans ou les dictateurs, favoriser l’éclosion de nouveaux rapports de force, non seulement entre les individus, mais aussi entre les états.
Tout dernièrement ce virus a encore frappé en Espagne, quand une grande partie de la population a exigé que le gouvernement lui dise la vérité au sujet d’attentats qui étaient attribués à d’autres. Le résultat inattendu sorti des urnes, ultime sursaut démocratique, à sanctionné le travestissement de la réalité et les tentatives de manipulation qui s’y rattachaient. Nous souhaiterions que ce virus atteigne d’autres chefs d’état, qui, enfermés dans leur toute puissance sans contre-pouvoir, s’abritent derrière des mensonges pour s’autoriser des actions.
Peut-être même servira-t-il, et réveillera-t-il, les grands chefs religieux pour favoriser la renaissance d’une parole neuve, plus directe, plus congruente avec les aspirations des fidèles et des croyants.
Ce que je redoute cependant, car ce virus risque de déranger la quiétude de beaucoup de monde, c’est la découverte d’un anti-virus qui paralyse, détruise, ou inhibe les effets du virus de la vérité. En attendant réjouissons-nous de sa présence.
Même dans un domaine comme le sport où il semblerait normal, souhaitable de réaliser des performances, de battre des records, de décrocher des médailles olympiques ou autres, si la réussite déclenche dans un premier temps de l’admiration, dans un deuxième (si le succès se poursuit) alors commencent les critiques et les réserves, voire les malveillances. Trop de succès répété suscite de la méfiance.
Dans le domaine qui est le mien, celui de l’écriture, le succès ne pardonne pas et plusieurs écrivains ne se sont jamais relevés d’un prix ou d’un tirage soudain inattendu.
Il vaut mieux écrire des long sellers (dont le tirage est modeste, mais renouvelé au cours des années), plutôt que des best sellers (aux tirages importants). Tout se passe comme s’il valait mieux écrire des livres aux tirages modestes mais continus dans le temps, qui s’appuient sur le bouche à oreille plutôt que sur les articles critiques ou dithyrambiques parus dans la presse ou sur des apparitions à la télévision qui ont mis en valeur l’animateur de l’émission et lui a permis de briller (parfois à vos dépends).
Dans les Salons du Livre auxquels je participe, le plus souvent pour accompagner les premiers pas d’un ouvrage récent, je vois beaucoup de monde passer, s’arrêter, feuilleter longuement certains livres après avoir jeté un coup d’œil rapide sur la quatrième de couverture qui est censée présenter (promouvoir !) le contenu. Les lecteurs qui me connaissent m’interpellent, commentent leurs découvertes, me gratifient parfois de remerciements. Mais certains, ne peuvent s’empêcher quelques remarques acerbes, quelques reproches et même accusations. « Vous parlez toujours d’amour, mais vous ne croyez pas que l’amour est à l’origine de beaucoup de malentendus, de souffrances et même de violences ? ». Il y a ceux qui pointent du doigt, surtout ce que vous n’avez pas fait, pas écrit, vos manques, vos insuffisances. « Ce n’est pas avec un livre de 300 pages que vous allez résoudre le problème des relations parents enfants ! » « Vous écrivez comment passer de la rencontre amoureuse à la relation de couple, comment construire un couple, mais vous ne dites rien sur comment faire pour se séparer sans souffrir ! ».
Il y aussi les frustrés, les rancuniers : « C’est bien beau de parler de tendresse, mais cela vous fait gagner beaucoup d’argent ! » ou encore « Vous, vous gagnez bien votre vie avec la détresse humaine et en plus vous laissez croire qu’elle va diminuer ! Mais regardez donc ce qui se passe autour de vous ! ».
Quelqu’un récemment m’a traité d’escroc : « c’est dégueulasse ce que vous faites, de proposer aux gens de lire telle ou telle page d’un livre, comme s’ils allaient trouver une solution à leurs problèmes ! Ensuite ils vont se sentir obligés de vous acheter le livre, vous êtes un marchand de soupe, un escroc ! ».
C’est vrai qu’il m’arrive de proposer à telle ou telle personne qui s’arrête et feuillette un livre distraitement, de prendre le temps de s’arrêter sur une page, de lire un passage que j’ai aimé, avec le sentiment de leur faire un cadeau. Quoi de plus beau que de lire quelque chose de gratuit (la lecture d’un passage, de quelques lignes ne coûte rien, sinon le temps que l’on s’est offert pour entrer dans un livre) et de repartir avec des mots qui résonnent en vous ou qui vous donnent envie d’aller plus loin !
Je savais que le succès pouvait entraîner des réactions de jalousies, des frustrations voire des réactions agressives épidermiques. Je ne savais pas qu’il pouvait réveiller de vieux démons : le besoin de dévaloriser, de disqualifier ou de susciter une agressivité perverse visant à faire mal, à blesser.
Dans l’esprit de certains votre réussite ne peut être attribuée en aucun cas à votre compétence ou à votre talent, ou plus simplement sur le fait que vos écrits correspondent aux attentes des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Pour eux, votre succès doit reposer certainement, pensent-ils, sur des compromissions, des pratiques malhonnêtes ou même des malversations qui ont porté un préjudice à des victimes innocentes et pures, qui elles sont restées dans l’ombre.
Ainsi je découvre que je peux être perçu comme une espèce de prédateur, qui porte ombrage à d’autres écrivains et surtout à tous ceux qui ne sont pas publiés.
J’avance avec cela, ne cessant de m’interroger sur les innombrables mystères du comportement humain et doutant parfois, parfois seulement du bien fondé de mes écrits.
Mon regard sur les femmes est totalement irrationnel.
Mon écoute est à la mesure d’une curiosité insatiable les concernant qui vient du fin fond de mon enfance (je n’ai jamais eu de sœur, ni de cousine) et les petites filles de mon quartier représentaient l’inconnu inaccessible et donc étaient porteuses d’une attirance irrésistible pour le jeune ignorant que j’étais.
Durant toute mon existence, mes élans vers les femmes ont été autant de rêves qui dynamisaient ma vie.
Mon approche les concernant est toujours inconditionnelle, louangeuse et étonnée. Je ne serais pas l’homme que je suis si je n’avais pas rencontré les femmes de ma vie.
Autant dire que je suis mal placé pour déterminer, évaluer, apprécier les compétences spécifiques des unes et des autres.
J’imagine cependant que je sais des femmes deux ou trois choses qui me permettent de mieux me positionner vis à vis d’elles, d’entendre leurs attentes ou leurs rêves sans tomber dans le piège de la comparaison, ou me perdre dans les schémas éculés qui circulent partout comme ceux que j’entends parfois.
- Les hommes seraient plus contrôlés, plus logiques, plus rationnels, plus dans la possessivité, la conquête…
- Les femmes par contre seraient plus spontanées, intuitives, irrationnelles et sensibles, plus dans le don (et parfois le sacrifice), le dévouement…
Ce qui m’intéresse, et ceux qui me lisent le savent, ce sont les questions d’éducation et au delà les enjeux de l’imprégnation parentale et culturelle sur les enfants.
Les femmes se sont beaucoup investies, ont été valorisées dans le passé dans les fonctions maternantes (maman, mère), dans la charge du foyer et dans la représentation (épouse) dans l’accompagnement et le soutien de l’homme.
Aujourd’hui elles aspirent à s’engager plus dans d’autres rôles qui peuvent entrer en rivalité avec les fonctions que je viens d’énoncer. Les engagements professionnels et citoyens, mais aussi la recherche d’échanges en réciprocité, l’ouverture au plaisir, à l’affirmation de soi mobilisent beaucoup de leurs énergies et paradoxalement peuvent menacer ou fragiliser leurs autres rôles et engagements, mais surtout déstabiliser les hommes.
Je crois que les femmes ont ce pouvoir de nous autoriser (dans le sens de rendre auteur) nous les hommes à être plus nous-mêmes.
Elles ont la capacité de jouer un rôle important, vital dans les orientations qui seront données aux recherches des sciences de la vie. Il me semble qu’elles sont moins prédatrices que les hommes, que le souci (ou le goût) de la prédation et de la destruction est moins manifeste chez elles. Ainsi je ne peux penser que c’est une femme ingénieur qui a mis au point le concept de mine antipersonnel !
Les enfants, nous le savons, sont principalement élevés par les mères qui transmettent quelques uns des modèles de comportement d’affirmation ou de soumission, de combativité ou de révolte, d’ouverture ou de fermeture au monde.
Cette transmission se fait à travers des messages faits de mots, de gestes, et de conduites qui circulent entre une mère et ses enfants, dans ce que j’appelle le biberon relationnel.
C’est par le biberon relationnel que sont véhiculés les interdits, les censures et les modèles qui vont confirmer les attentes, les désirs et les peurs des parents. Il alimente les missions de réparation, les fidélités proposées, choisies.
Ces messages ne sont pas les mêmes entre une mère et sa fille et une mère et son fils, ils semblent qu’ils pénalisent plus les filles que les garçons.
L’accès des femmes au savoir est relativement récent dans l’histoire de l’humanité, il reste encore interdit, limité à un grand nombre de femmes dans le monde qui se trouvent enfermées dans les activités de survie (alimentation, santé, bien être physique des enfants et de la famille). Le refus ou le contrôle de l’accès au savoir constitue d’ailleurs un des enjeux (et donc de résistances) aux intégristes religieux et autres.
Ce serait une erreur de confondre ce qu’une femme fait et ce qu’elle est. Ce qu’elles font dépend encore trop du pouvoir des hommes. Ce qu’elles sont dépend de plus en plus d’elles mêmes (travail personnel sur soi, engagements divers, lectures…)
En dominante, leurs centres d’intérêt me semble être le respect et maintient de la vie, un combat permanent pour maintenir la qualité de la vie au quotidien, dans une approche de la réalité plus charnelle, moins mentale. Une écoute plus fine, un regard plus tendre pour la faiblesse, la vulnérabilité des hommes.
Je voudrais ne pas oublier les femmes de ma vie qui ont joué un rôle essentiel dans mon développement.
- Ma mère bien sûr avec son amour, sa cohérence, ses maladresses et son bon sens à toute épreuve.
- Cette institutrice remplaçante qui m’a fait découvrir que je pouvais ne pas être un cancre à vie.
- Cette infirmière qui lorsque j’étais couché dans le plâtre durant quatre ans, m’a accepté tel que j’étais, j’ai envie de dire inconditionnellement.
- Il y a aussi, celle, la première, qui m’a initiée à l’amour.
- Celle qui a déclenché ma vocation pour la psychologie et les relations humaines.
- Celle qui m’a transformée en père et en papa
- Celle qui m’accompagne aujourd’hui, respectueuse de mes errances et de mes enthousiasmes.
Les femmes vont continuer à jouer un rôle important dans l’existence de tous, au présent, à chaque instant, dans tous les mouvements de la vie. Il nous appartient d’apprendre à non seulement les aimer mais à les respecter avec le meilleur de nous mêmes.
Elle n’est pas innée, ni acquise à jamais, elle est à conquérir sans cesse. D’une certaine façon, il faut toujours se battre pour avoir la paix.
Ce paradoxe commence tôt dans l’existence d’un enfant. Au bout de neuf mois dans le meilleur des cas tout bébé encore dans le ventre peut vivre un conflit terrible: rester, sortir.
Rester, s’accrocher, rester quelques heures, quelques jours, quelques semaines de plus… Sortir au moment venu, être expulsé, rejeté de cet univers clos dont nous étions le seul occupant, le seul maître en quelque sorte. Sortir à l’avance, devançant toutes les prévisions. Et quelques fois même être arraché, naître à ciel ouvert dans la violence d’une césarienne.
Par la suite, jusqu’à 2/3 ans nous allons vivre dans l’Illusion de la Toute Puissance Infantile (I.T.P.I.) imaginant que l’univers tourne, fonctionne autour de notre personne, jusqu’au moment où le principe de réalité, cher à Freud, nous tombe dessus. Cela se passe quand la maman (dimension oblative, comblante, satisfaisante de la relation maternelle) se transforme en mère (dimension plus restrictive, frustrante, insatisfaisante de la relation maternelle). Cette découverte épouvantable que l’univers n’est pas totalement à notre service, dérange, bouscule un équilibre encore instable. Et là commence ou se poursuive pour tout enfant le premier combat : comment obtenir satisfaction immédiate à ses besoins ? Le sevrage relationnel constitué par le passage (plus ou moins dosé) de la maman à la mère est à l’origine de la mise en place de différentes stratégies pour garder le contrôle sur son environnement ou s’adapter à lui.
Une paix relative peut être présente à certains moments dans le cœur ou l’esprit de certains enfants quand l’environnement est suffisamment stable, sécurisant et comblant. Mais c’est une paix sans cesse menacée par le surgissement de l’imprévisible. Il n’y a pas seulement les besoins vitaux liés à la survie qui réclament satisfaction. Ceux là sont dans la plupart des cas comblés, il y a aussi, les besoins relationnels : besoins de se dire et d’être entendu, d’être reconnu et valorisé d’avoir une intimité respectée, de sentir la possibilité d’influencer son environnement, cela veut dire aussi pour ce dernier besoin sentir qu’on ne peut pas toujours être soumis à l’autre, défini par lui, qu’on est capable d’une relation dans laquelle circule des échanges en réciprocité. Ainsi la paix en soi dont découlera l’essentiel de la paix avec autrui est lié à la recherche permanente d’un équilibre entre attentes et réponses, entre demandes et satisfactions, entre besoin d’approbation (acceptation de mon évolution) et besoin d’affirmation [nécessité de sortir de l’hétéro-définition (conditionnements, contraintes, habitudes de vie imprimés par un milieu donné)] pour s’ouvrir à une auto définition de soi-même, c’est à dire à commencer à construire en soi les bases d’une liberté d’être qui permet de se confronter à autrui sans avoir nécessairement besoin de le dominer, de l’aliéner ou de vouloir le détruire. Ainsi la paix en soi sera dépendante de cette liberté d’être inscrite dans la vie d’un enfant. Nous ne devons pas faire l’économie cependant d’une interrogation sur les conflits intra psychiques qui peuvent surgir aux différentes étapes du développement d’une personne. Conflits entre besoins et désirs, entre plusieurs désirs qui peuvent se combattre en nous ou entre certaines instances de notre personnalité. Quand l’ego se sent blessé, dévalorisé ou violenté par un abandon, un rejet. Conflits liés à l’inscription de certains traumas qui peuvent déboucher sur des compensations, des passages à l’acte, des prises de pouvoir ou le besoin de dévaloriser autrui.
Il y a aussi la possibilité du réveil de l’une ou l’autre de nos composantes pathologiques qui pour la plupart d’entre nous fonctionnent à minima et qui restimulées par certaines circonstances peuvent devenir des dominantes envahissantes, susceptibles de nous entraîner à produire ou à imposer des comportements excessifs ou violents qui peuvent surgir dans toute relation et brutalement la déstabiliser.
Il y a donc des forces de violence en chacun de nous. Ces forces se nourrissent à la souffrance des grandes blessures inscrites dans l’enfance : injustice, humiliation, impuissance, trahison, rejet, abandon. Elles sont amplifiées et trouvent des débouchés dans l’absence de valeurs qui autrefois étaient des repères, des ancrages, des références. Le respect de la vie n’est plus une valeur suprême, ni une priorité. De nouvelles valeurs, parfois aux antipodes de celles que nous avons reçues s’imposent, dominent et servent de références dans les confrontations individuelles et sociales.
Ainsi la non-valeur de la vie. On ne se contente plus de dominer, de s’approprier, de contrainte, il semble qu’on veuille aussi détruire, supprimer à jamais.
Certains combats paraissent nécessaires à beaucoup, comme la mise en œuvre d’un rapport de force dans les grèves ou l’intervention armée pour faire valoir un droit, rétablir un processus plus démocratique, faire opposition à un envahisseur. On invoque l’échec des négociations pour justifier l’intervention armée. Il me semble même si mon point de vue peut apparaître comme extrêmement naïf, que ces négociations n’utilisent pas l’une ou l’autrere de mes règles d’hygiène relationnelle qui favoriseraient plus la confrontation que l’affrontement, l’apposition que l’opposition.
L’homme a toujours été un prédateur capable de prédations redoutables liées aux moyens dont il dispose. Ce qui a changé depuis quelques décennies c’est l’incroyable accélération et sophistication des moyens de destruction mis à disposition. Libérer un gaz toxique, signer le décret du sang contaminé, transformer un avion civil en bombe, refuser de livrer des traitements antisida à prix coûtant, continuer à laisser circuler des bateaux poubelles transportant des carburants ou des produits toxiques, laisser se mettre en place des génocides ne sont que quelques unes des manifestations de cette prédation.
Face aux forces de prédations qui s’appuient sur des structures institutionnelles, les moyens technologiques d’une efficience raffinée, d’autres hommes opposent, apposent des forces d’amour, des démarches de conscientisation, des témoignages et pour quelques uns un engagement sur le terrain. Ces forces sont rarement institutionnelles, difficilement organisées. Quelques grands rassemblements emblématiques à Porto Alègre ou à Gênes ne suffisent pas pour l’instant à cristalliser les éléments d’une force susceptible de constituer un contre pouvoir efficace.
Ces mouvements peuvent paraître à certains dérisoires, insuffisants et surtout obsolètes.
Je serais tenté, seulement tenté, parfois de le penser et de me réfugier dans une indignation de circonstance, dans une plainte molle nourrissant à minima ma conscience.
Mais je sais que je veux plus, je sais qu’il faut commencer tôt dans l’éducation d’un enfant, déposer le fertilisant d’un enseignement aux relations humaines de travailler l’humus d’une communication relationnelle sans violence, ensemencer des valeurs, des règles d’hygiène relationnelle qui permettent à tout enfant de confronter ses désirs à des balises, à des valeurs. Le temps est venu de redéfinir un contrat social, de proposer des points d’accord minima pour gérer nos relations non seulement avec un autrui proche, mais avec l’ensemble de l’humanité. Nous sommes devenus des êtres planétaires, concernés directement par tout ce qui se passe sur cette planète qui nous a accueilli il y a quelques 5 millions d’années. Concernés par toutes les formes de violence, celles à l’égard de la Terre, celles à l’égard des humains, celles à l’égard du cosmos. Celui qui déclare la guerre quelle que soit l’idéologie sous laquelle il s’abrite pour la justifier, les raisons économiques (avancées ou non) les raisons humanitaires mises en avant ou encore les raisons défensives, préventives pour éviter d‘être envahi, détruit ou mis en dépendance, celui-là non plus n’a pas fait la paix en lui.
La recherche de la paix ne peut continuer à se faire par la constitution hasardeuse et coûteuse d’un équilibre des rapports de forces, mais par l’inscription dans l’éducation le plus tôt possible de balises, de références durables, j’aurais envie de dire sacrées, intouchables, qui valideraient nos relations à autrui et surtout à nous-mêmes.
Nous sommes capables de passage à l’acte pour une place de parking que nous avions convoitée et qu’un autre plus rapide, nous enlève sous nos yeux. Capable de frapper un être cher pour un désaccord, pour un refus, pour une réflexion qui nous humilie ou de nous laisser entraîner à des gestes violents envers nos enfants quand ils réveillent la peur ou l’impuissance chez nous.
Au delà de cette violence endémique dans laquelle baigne certains quartiers, qui taraude certains lieux de vie, de la violence de frustration ou d’affirmation qui envahie en fin de match certains stades, de la violence jouée, orchestrée et soutenue par des effets spéciaux dans les films ou à la télévision, nous découvrons que nous sommes chacun d’entre nous capable de libérer une agressivité qui nous surprend et nous emporte parfois plus loin que nous ne pouvions l’imaginer. Une agressivité de survie que certains vont revendiquer pour se transformer en justicier.
Cette violence de survie, se réveille quand le noyau de notre sécurité profonde est atteint et menacé, quand nous imaginons ou sentons que notre vie dépend de la nécessaire disparition de l’autre
Il y a une violence que j’appelle violence de l’impuissance, quand nous sommes confrontés à des relations perverses, qui nous manipulent, nous entraînent vers le non respect de soi, la folie ou la néantisation. Quand nous avons le sentiment que quoique nous fassions, l’autre va nous mettre en difficulté, nous disqualifier, nous rendre responsable ou encore nous accuser d’être, de ne pas être, de faire, de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire et cela justement quand il aurait fallu être, ne pas être, faire, ne pas faire, dire ou ne pas dire ne fonction de raisons et de références qui lui seul connaît et qui lui sont tout à fait personnelles. Raisons et références variables, ce qui fait qu’aucune anticipation, aucune prévision, aucun ajustement ne s’avère possible car c’est toujours l’autre qui décide de ce qui est bon ou pas bon, souhaitable ou non souhaitable pour nous en la circonstance.
Violence irrationnelle, brutale qui surgit pour faire écran à l’angoisse de disparaître, de ne plus exister ou encore de n’avoir plus de valeur quand nous sommes niés par l’autre.
Cette violence n’a pas plus de justifications que les autres, mais elle transforme le plus souvent la victime en agresseur justifiable alors de sanctions. Ce sera lui qui sera condamné, puni, privé de liberté parfois pour n’avoir pas su trouver la bonne distance entre le “diffuseur de harcèlement moral” ou le “porteur actif de terrorisme relationnel” et lui même.
Apprendre à se séparer d’un système relationnel toxique suppose de s’engager dans un travail sur soi même qui permet de mieux entendre ce qui est en jeu dans une telle relation où une personne proche (ou moins proche) suscite en nous une violence qui ne nous est pas habituelle.
Quand cette certitude vitale, que les générations précédentes avaient et qui me semble avoir disparue, que le présent est un passage, une ouverture, une transition vers plus de mieux être. Quand il n’est plus possible de croire qu’on peut influencer son destin en s’appuyant sur ses seules ressources.. Quand on ne peut plus rêver que demain sera différent et meilleur qu’aujourd’hui. Quand on se sent impuissant pour remodeler ou inventer le futur. Quand la confiance et l’espérance en un monde meilleur ont disparues, alors le présent paraît insipide, sans plaisir, il devient invivable et parfois haïssable.
Tout se passe comme si, insidieusement, depuis quelques années, un faisceau de phénomènes, des forces de négation avaient entrepris d’assassiner l’avenir et que celui-ci agonisait sous nos yeux sans que nous puissions intervenir et agir.
Comment est-il possible dans ces conditions, pour un jeune, pour un adulte d’envisager de vivre sans la présence en soi du désir que le futur soit meilleur que le présent ? Comment est-il possible de respecter ce présent s’il n’est pas porteur de rêves ?
Dans mon enfance et plus encore dans mon adolescence l’avenir semblait illimité. Il était porteur de tous les possibles, il recelait toutes les réponses à mes attentes, il contenait toutes les ressources à mes manques. L’avenir était le garant d’une espérance inouïe qui allait réparer toutes mes souffrances, combler mes insatisfactions, me donner la possibilité d’exister au mieux de mes possibles. La plupart des gens qui m’entouraient étaient habités par une aspiration à créer, à introduire dans leur existence une parcelle d’avenir qui devait accroître les ressources de la planète, favoriser plus de justice et de bien être, nous rendre meilleurs les uns et les autres.
Aujourd’hui la violence qui ne cesse d’augmenter, de se diffuser, de se répandre dans tous les secteurs de la vie intime et sociale est devenu le langage le plus pratiqué pour dire l’impuissance, la détresse, le mal être.
La violence qui nous entoure n’est pas totalement gratuite, comme si le plaisir de détruire avait remplacé celui de créer. Nous sommes stupéfaits, atterrés quand nous découvrons les motivations, les justifications ou simplement les raisons de ceux qui violentent, torturent parfois, brûlent des personnes et des biens, quand nous entendons qu’elles sont fondées sur l’ennui, le gratuit, le besoin de remplir un immense vide relationnel, de combler la désespérance face à un futur sans avenir. Interrogeons nous sur le désespoir de celui qui est conduit à trouver du plaisir dans la souffrance d’autrui.
Je n’ai pas le sentiment en écrivant cela, de manifester du défaitisme, mais au contraire de me mobiliser pour tenter de mieux prendre conscience d’un état d’esprit dangereux et de vouloir arrêter un courant malsain, de lancer un appel, de réveiller quelques énergies, de créer un mouvement, de faire un pas de coté pour sortir de la pente, pour ne plus me laisser entraîner à la morosité ambiante et peut être à un défaitisme pervers envers l’avenir.
Je sais au fond de moi qu’il est possible de nourrir l’avenir avec les germes positifs du présent. Qu’il est indispensable de se projeter dans le futur pour hausser l’instant au plus haut de ses possibles. Je sais aussi que nos enfants devront inventer leur présent en se reliant à la fois aux valeurs de leur passé et en inventant de nouvelles valeurs pour faire face aux contradictions que leur proposera la culture socio-économique environnante. Je sais aussi qu’ils devront affronter des conditionnements dont pour l’instant je n’ai aucune idée. Mais je garde une foi sacrée en l’homme.
Pour baliser cette démarche, je propose quelques repères.
- Ne pas confondre tendresse et sentiment. La tendresse n’est pas un sentiment, c’est une qualité de la relation.
- Ce n’est pas l’amour qui maintient deux êtres ensemble dans la durée, c’est la qualité de la communication qui va circuler entre eux.
- La qualité de cette communication sera liée à l’écoute et à la satisfaction des besoins relationnels profonds de chacun des partenaires.
- Notre capacité à vivre ou à proposer de la tendresse sera fonction à la fois de notre capacité à être lucide et en même temps d’avoir certaines exigences, surtout à l’égard de nous même.
Lucidité sur la nature des sentiments que j’ai à l’égard de l’Autre. Suis-je dans un amour de besoin, dans un amour de survie, dans un amour de consommation, dans un amour de manque, ou suis-je dans un amour de don, tourné vers l’autre, dans lequel j’ai suffisamment d’amour et d’estime de moi-même, pour pouvoir donner de l’amour sans me sentir dépossédé. Pour pouvoir donner, sans exiger, offrir sans avoir peur de perdre, proposer sans contrôler.
Exigence sur la qualité de mes désirs, en acceptant de clarifier la dynamique de chacun, ce qui me permettra de me confronter à quatre alternatives.
- Suis-je dans un désir autonome ou un désir dépendant ?
- Suis-je dans un désir vers l’autre ou un désir sur l’autre ?
- M’interroger sur la dynamique relationnelle que je propose.
- Suis-je suffisamment délié pour pouvoir m’allier ?
- Suis-je suffisamment autonome pour pouvoir m’engager ?
- Suis-je suffisamment fidèle à moi-même pour pouvoir proposer à l’autre un projet de vie dans le temps et me proposer à moi-même un projet de vie venant de l’autre ?
Oser la tendresse
Vivre la tendresse supposera donc, au delà d’une intention, les possibles d’une spontanéité libérée des pièges habituels de la communication intime. Libérée aussi des trois grands ennemis de la tendresse
- la peur ou l’impérialisme de l’érotisation
- la peur de la dépendance ou de la fusion
- la peur des jugements de valeurs ou l’atteinte à l’image de moi.
Un des fondements à la tendresse partagée sera l’écoute et la satisfaction des besoins relationnels profonds de chacun des partenaires du couple.
Besoins de se dire : avec des mots à moi dans les différents registres de la communication intime, au niveau des idées, des croyances, du ressenti, de l’imaginaire et même des fantasmes sans que ceux-ci menacent l’équilibre de l’autre. Il n’y a pas de tendresse possible, si le fait de partager son imaginaire ou ses interrogations, va être vécu comme une agression par l’autre “alors je ne te suffis plus, tu as besoin d’imaginer que…”.
Besoin d’être entendu dans chacun de ces registres, non pas que j’attende que l’autre soit d’accord avec moi, mais que je sente qu’il peut recevoir ce que je dis dans sa direction sans réagir, sans se sentir mis en cause.
Besoin d’être reconnu tel que je suis et non pas tel que l’autre me voudrait avec parfois ce besoin d’être accepté inconditionnellement avec mes insuffisances, avec mes zones de vulnérabilité et mes limites.
Besoin d’être valorisé, gratifié, d’avoir le sentiment que ce que je dis, que ce que je suis compte pour l’autre, a de la valeur pour lui.
Besoin d’intimité, besoin d’un espace, d’un temps à moi sur lesquels je n’ai pas de comptes à rendre. Il n’y a pas de tendresse possible lorsque l’intimité de chacun n’est pas reconnue et respectée.
Besoin d’exercer une influence minimale sur l’autre et d’accueillir en réciprocité son influence. C’est- à - dire avoir le sentiment que ce que je dis peut le faire changer d’avis ou orienter ses décisions, peut-être même ses choix de vie et qu’il peut en être de même pour moi. Car trop souvent dans un couple l’un des deux prend et garde une position d’influence sur l’autre, alors qu’une relation vivante et en santé suppose une alternance des positions d’influence.
Tendresse vécue
La tendresse vécue suppose :
- une présence, être présent au présent
- une attentivité tournée vers l’autre
- une confirmation de l’autre, quand celui-ci à le sentiment qu’il est accueilli, reconnu, valorisé, accepté.
- une proximité, ce qui permet de mettre en jeu tous les langages de la tendresse, regards, vibrations émotionnelles, circulations des émotions.
Je ne voudrais pas terminer sans rappeler que le principal obstacle à la tendresse est constitué par la répression imaginaire, quand nous nous censurons, quand nous nous interdisons, quand nous pensons à la place de l’autre, ce qui est bon ou pas bon pour lui, quand nous l’infantilisons à partir de nos peurs ou de nos désirs, quand nous l’aliénons en le maintenant dans la dépendance.
La tendresse en fin de compte suppose une liberté d’être, à la fois chez celui qui la donne et chez celui qui la reçoit. C’est cette liberté d’être que je souhaite à chacun.
Déstabilisée, l’école l’est profondément, dans ses fondements mêmes.
Voici quelques-unes des menaces qui pèsent sur elle :
- L’inadéquation entre ses objectifs (autrefois légitimés par le souci de préparer à une insertion et même de renforcer le processus démocratique d’égalisation des chances sociales et professionnelles) et la réponse actuelle de la société qui ne peut plus promettre à travers la réussite scolaire un avenir plus ouvert, plus libre.
- L’absence de convivialité et l’appauvrissement des relations interpersonnelles. La taille, l’importance des établissements et la difficulté à communiquer en réciprocité, de façon personnalisée et respectueuse face à des enjeux qui dépassent le cadre scolaire (auto-violence de plus en plus fréquente chez les enfants, violences et comportements atypiques conséquences et reflets de carences éducationnelles familiales, perte des valeurs ou absence de valeurs de références.)
- Une inflation de l’expression. Aujourd’hui, en effet, l’expression des sentiments, des ressentis immédiats, des idées (souvent confondues avec des affirmations) et des opinions est, semble-t-il, plus importante que dans le passé, mais elle se fait sous un mode réactionnel, sous forme de passages à l’acte verbaux. Les mots ne sont plus utilisés pour communiquer, mais pour agresser, rejeter, tenir à distance ou même manipuler. La mise en commun fondée sur une communication relationnelle (autour du demander, donner, recevoir et refuser) permettant la confrontation, l’échange, le partage, est en souffrance, souvent inexistence, méconnue.
- Une concurrence des savoirs. Les enfants arrivent avec un savoir (informel) chaotique, diffus mais suffisamment prégnant pour entrer en opposition sinon en conflit avec le savoir (plus formel) plus structuré, plus organisé proposé par les enseignants.
- La rupture avec la réalité par une fuite vers le virtuel au travers d’une technologie envahissante et uniformisante. L’individualisme, renforcé par ce qu’il serait possible d’appeler une hémorragie des échanges directs.
- Les manifestations de violence de plus en plus fréquentes, généralisées, suscitées par n’importe quelle frustration.
La violence qui s’exprime actuellement, même si elle reste rare dans ses manifestations les plus outrancières, est devenue endémique, permanente et présente dans le ressenti de chacun des protagonistes de l’univers scolaire. Dans ses formes et modalités les plus visibles, les plus inquiétantes, elle pénètre tous les milieux, contamine tous les âges. C’est un phénomène relativement récent mais qui tend à ses répandre et à se banaliser au travers des agressions verbales et physiques, des dégradations des biens, des viols (parfois), de l’utilisation d’armes et de contraintes. La violence est à l’œuvre dans de plus en plus d’établissements scolaires.
Un autre phénomène, qui devrait interroger les adultes, parents et enseignants, c’est la précocité de cette violence. Elle touche des tranches d’âge d’enfants de plus en plus jeunes. Tout se passe comme si l’enfance était en prise directe, trop directe avec le monde des adultes. Sans filtres suffisamment solides, sans passerelles fiables, sans accompagnements cohérents, sans balises claires et respectées, sans références à des valeurs témoins.
L’école ouverte d’aujourd’hui affronte plusieurs paradoxes.
- N’étant plus un lieu protégé, l’intrusion d’éléments extérieurs y devient de plus en plus fréquente. Ces intrusions, non seulement parasitent la quiétude et la disponibilité nécessaires à des apprentissages et des intégrations de savoirs, mais déstabilisent le processus de transmission et de partage, insécurisent les enfants et déstabilisent les adultes.
- Vécue comme un lieu d’accueil et de tolérance, l’école reste aussi un lieu de repli, de secours vers lequel se réfugient des enfants scolarisables (même absentéistes ou dont la présence aléatoire est fonction des hauts et des bas de leur vie familiale ou des remous de la cité). Certains enfants viennent (aussi) à l’école pour se ressourcer, se restaurer quand ils se sentent trop menacés à l’extérieur.
- Mais la violence, la plus pernicieuse peut-être, c’est la tension générée par une insécurité collective et interpersonnelle, qui règne autour de beaucoup d’établissements, tant au niveau des adultes que celui des enfants et adolescents. Insécurité qui se nourrit de tout, qui prend prétexte du moindre incident pour éclater et se diffuser dans tout un quartier ou un village.
Protéger l’école ce sera redonner aux enseignants une place plus valorisée, favoriser une disponibilité plus grande pour leur permettre de développer une communication relationnelle fondée sur des apprentissages au savoir être, au savoir devenir, au savoir créer. Ce sera proposer aux parents des balises et des ancrages spécifiques pour mieux se confronter à leurs enfants sans démissionner ou renoncer. Ce sera aussi renforcer le soutien individuel pour éviter un nivellement par le bas, pour compenser les carences liées aux importantes différences culturelles.
Les chemins sont multiples même si parfois ils sont étroits, mais il peut être stimulant de les suivre.